Comment Saint François de Sales voit le jeûne dans son Sermon pour le Mercredi des Cendres du 9 février 1622.
« […] j’ai pensé de vous parler en cette exhortation des conditions qui rendent le jeûne bon et méritoire […]. Mais pour traiter à ce coup ici du jeûne et de ce qu’il est requis de faire pour bien jeûner, il faut savoir avant toute chose que de soi le jeûne n’est pas une vertu, car les bons et les mauvais, les Chrétiens et les païens l’observent. Les anciens philosophes le gardaient et le recommandaient : ce n’est pas qu’ils fussent vertueux pour cela, ni qu’ils pratiquassent une vertu en jeûnant,. Il ne suffit pas de jeûner extérieurement si l’on ne jeûne intérieurement, et si l’on n’accompagne le jeûne du corps de celui de l’esprit. »
Saint François de Sales se réfère à Saint Bernard
Première condition un jeûne universel :
« La première est qu’il faut jeûner de tout son cœur, c’est-à-dire de bon cœur, d’un cœur
entier, généralement et entièrement. Si je vous rapporte les paroles de saint Bernard touchant
le jeûne, vous saurez non seulement pourquoi il est institué, mais encore comme il se doit
garder.
[Saint Bernard] dit donc (serm. III in Quatrag., § ult) que le jeûne a été institué de Notre-Seigneur pour
remède à notre bouche, à notre gourmandise et à notre gloutonnerie ; car pour ce que le
péché est entré au monde par la bouche, il faut aussi que ce soit la bouche qui fasse
pénitence par la privation […]. Mais, ajoute ce glorieux Saint, comme ce n’est pas notre
bouche seule qui a péché, mais encore tous nos autres sens, il est requis que notre jeûne soit
général et entier, c’est-à-dire que nous fassions jeûner tous les membres de notre corps, car
si nous avons offensé Dieu par les yeux, par les oreilles, par la langue et par nos autres sens,
pourquoi ne les ferons-nous pas jeûner ?
Et non seulement il faut faire jeûner les sens du corps, mais aussi les puissances et passions
de l’âme, oui même l’entendement, la mémoire et la volonté, d’autant que l’homme a péché
par le corps et par l’esprit.
C’est ce que nous veut signifier l’Église en ce saint temps de Carême, nous enseignant à faire
jeûner nos yeux, nos oreilles et notre langue : pour cela elle quitte tous ses chants
harmonieux afin de mortifier l’ouïe ; elle ne dit plus d’alléluia et se revêt toute de couleur
sombre et obscure
Il est donc raisonnable, pour rendre notre jeûne entier et méritoire, qu’il soit universel, c’est-à-dire pratiqué par le corps et par l’esprit.
C’est la première condition qu’il faut observer pour bien jeûner. »
Saint François de Sales se réfère à Saint Paul
Seconde condition un jeûne avec humilité et charité
« La seconde est de ne point jeûner pour la vanité, mais par humilité, car si notre jeûne n’est
fait avec humilité il ne sera point agréable à Dieu
Voici le Carême qui approche ; préparez-vous à jeûner avec charité, car si votre jeûne est fait sans
celle-ci, il sera vain et inutile, d’autant que le jeûne, comme toutes les autres bonnes œuvres, s’il n’est pas fait en charité et par la charité n’est point agréé de Dieu.
Quand vous vous disciplineriez, quand vous feriez de grandes prières et oraisons, si vous
n’avez la charité cela n’est rien ; quand même vous opéreriez des miracles, si vous n’avez la
charité ils ne vous profiteront point ; voire si vous souffriez le martyre sans la charité, votre
martyre ne vaudrait rien et ne serait point méritoire aux yeux de la divine Majesté; car toutes
les œuvres, petites ou grandes, pour bonnes qu’elles soient en elles-mêmes, ne valent et ne
nous profitent point si elles ne sont faites en la charité et par la charité. J’en dis maintenant
de même : si votre jeûne est sans humilité il ne vaut rien et ne peut être agréable au
Seigneur.
Les philosophes païens ont ainsi jeûné, et leur jeûne n’a point été regardé de Dieu. Les
pécheurs jeûnent en cette sorte, mais parce qu’ils n’ont pas l’humilité cela ne leur profite
aucunement. Or, comme d’après l’Apôtre, tout ce qui se fait sans la charité n’est point agréé
de Dieu, aussi dis-je de même avec ce grand Saint, que si vous jeûnez sans humilité votre
jeûne ne vaudra rien ; car si vous n’avez l’humilité vous n’avez pas la charité, et si vous êtes
sans charité vous êtes aussi sans humilité, d’autant qu’il est presque impossible d’avoir la
charité sans être humble et d’être humble sans avoir la charité, ces deux vertus ayant une
telle sympathie et convenance par ensemble qu’elles ne peuvent jamais aller l’une sans
l’autre.
Mais qu’est-ce jeûner par humilité ? Jeûner par vanité c’est jeûner par sa propre volonté, d’autant que cette propre volonté n’est point sans vanité, ou du moins sans tentation de vanité. Et qu’est-ce que jeûner par sa propre volonté ? C’est jeûner comme on veut, et non point comme les autres veulent ; jeûner en la façon qui nous plait, et non point comme on nous l’ordonne et conseille. Vous en trouverez qui veulent jeûner plus qu’il ne faut, et d’autres qui ne veulent pas jeûner autant qu’il faut. Qui fait cela sinon la vanité et la propre
volonté ? car tout ce qui vient de nous nous semble être meilleur, et nous est beaucoup plus
aisé et facile que ce qui nous est enjoint par autrui, quoi que plus utile et propre pour notre
perfection. Cela nous est naturel et naît du grand amour que nous nous portons.
Mettons un chacun la main à notre conscience et nous trouverons que tout ce qui vient de
nous, de notre propre sens, choix et élection nous l’estimons et aimons bien mieux que ce
qui vient d’autrui. Nous y avons une certaine complaisance qui nous facilite les choses les
plus ardues et difficiles, et cette complaisance est presque toujours vanité.
C’est ce que j’avais à vous dire touchant le jeûne et ce qu’il faut observer pour bien jeûner. »