Pour soutenir notre méditation de ce jour, nous vous proposons un texte de Mgr Jacques Noyer.
Mgr Jacques Noyer est décédé le 2 juin dernier. Il a été notre Conseiller Spirituel Général de 2001 à 2006, succédant au Père François Corrignan qui avait été rappelé par son évêque en cours de mandat. C’est la Directrice générale qui avait pris contact avec lui quand il a fallu trouver un nouveau Conseiller Spirituel Général pour les Filles de Saint François de Sales. À l’époque, il était encore évêque d’Amiens, mais il avait accepté la charge afin de nous aider dans une période difficile. Toutes les Conseillères élues à l’Assemblée Générale de 2003 se souviennent de lui comme d’un homme d’une grande simplicité, très à l’écoute et disponible.
Il nous accompagne encore, à travers ses écrits. Cette page est tirée de son livre : Dire Dieu autrement, homélies au fil de l’an.
La liturgie d’aujourd’hui est une méditation sur la Croix Glorieuse. Et la méditation de saint Jean compare la croix du Christ au Serpent en bronze que Moïse avait élevé dans le désert au milieu du peuple épuisé par la faim, la soif, et la menace des serpents. Jésus, Fils de l’homme, aujourd’hui, comme hier, est posé comme un signe d’espérance au milieu de ce monde.Tandis que l’Afrique panique devant le développement du virus Ébola, quel sens peut avoir ce crucifix entrevu l’autre jour sur le mur d’un hôpital débordé ? Quel sens peut avoir cette croix étonnamment encore debout, accrochée aux ruines d’une église irakienne bombardée ? Quel sens peut avoir ce signe de croix tracé par un cardinal sur des populations arrachées par la guerre et dépouillées de tout ?
Est-ce simplement un grigri portant bonheur auquel s’accroche tout homme dans la peur et le malheur ? Certains racontent que des croix ont détourné des balles et protégé des vies. Et qui penserait à condamner ces gestes irrationnels qui ressemblent à tant d’autres superstitions à travers le monde ? est-ce une simple promesse d’un autre monde, plus beau que celui où nous mourrons ? Est-ce un signe que donnerait de l’autre rive Celui qui connaît la paix ? Est-ce la consolation qui nous aiderait à quitter cette vallée de larmes ? Est-ce un signe d’appartenance qui permettrait de séparer les chrétiens des autres ?
La croix est pourtant d’abord le rappel de l’Incarnation. Jésus est cloué sur une croix, planté sur cette terre et c’est là qu’il nous donne le salut. Il ne vient pas nous retirer du monde. Au contraire, il est venu dans ce monde par amour des hommes et envoie ses disciples jusqu’aux extrémités de la terre.
Il faut sans doute accepter le mystère de cet amour paternel qui accepte de plonger son propre Fils dans la cruauté d’une humanité déchirée par les passions les plus folles. Comme Jésus s’abandonne à son Père dans la souffrance et la mort de la croix, nous devons faire confiance même quand nous ne comprenons pas. Comme l’adolescent envoyé en pension par des parents exigeants ne peut comprendre que c’est pour son bien, sa maturation, qu’ils lui imposent cette épreuve.
Qui sommes-nous pour faire la leçon à Dieu ?
Peut-être, si nous avons la chance de connaître quelques années de paix et de prospérité, pourrons-nous entrevoir comment la croix nous sauve. Dans un monde sans souffrance, sans blessure, sans danger, que deviendrions-nous ? Des égoïstes suffisants, des petits dieux orgueilleux, des indifférents saturés de mépris. Quand tout va bien, voilà ce que nous devenons : ne le constatez-vous pas ? Ce n’est que s’il y a un drame que le quartier se parle. Ce n’est qu’au tour d’un parent souffrant qu’une famille échappe à la dispersion. Ce n’est que parce qu’il y a des morts que vous vous intéressez à l’actualité. La croix qui nous sauve, c’est la souffrance qui nous appelle à l’entraide, au partage et à la fraternité. Certes nombreux sont ceux qui se détournent et regardent ailleurs pour sauver leur peau et les quelques privilèges qui vont avec. Mais d’autres deviennent alors des hommes, quelque fois des héros, toujours des saints.
La croix est plantée au cœur de l’actualité quotidienne. Quand on pleure, quand on souffre, quand on meurt autour de vous, détournez-vous les yeux ? Vous bouchez-vous les oreilles ? Allez-vous dire non à cet élan inattendu qui submerge votre cœur ? Même si vous vous sentez impuissant, ce cri que vous pousserez vers le ciel, ce mouvement de compassion et ces larmes qui creuseront votre visage, cette générosité qui vous surprend vous-même, cette prière qui montera à vos lèvres, tout cela dira l’efficacité de la croix.