« N’est-il pas raisonnable que la très sainte volonté de Dieu soit exécutée, aussi bien dans les choses que nous chérissons comme aux autres ?…
Je sais bien que vous me direz volontiers : Et vous, comment vous êtes-vous comporté ? Oui, car vous désirez de savoir ce que je fais. Hélas, ma Fille, je suis tant homme que rien plus. Mon cœur s’est attendri plus que je n’eusse jamais pensé ; mais la vérité est que le déplaisir de ma mère et le vôtre y ont beaucoup contribué, car j’ai eu peur de votre cœur et de celui de ma mère. Mais quant au reste, oh vive Jésus ! je tiendrai toujours le parti de la Providence divine : elle fait tout bien et dispose de toutes choses au mieux (Sg 12, 15). Quel bonheur a cette fille d’avoir « été ravie » du monde, « afin que la malice ne pervertît son esprit » (Sg 4, 11), et d’être sortie de ce lieu fangeux avant qu’elle s’y fût souillée (Ps 68, 15) !On cueille les fraises et les cerises avant les poires bergamotes et les capendus ; mais c’est parce que leur saison le requiert. Laissons que Dieu recueille ce qu’il a planté en son verger ; il prend tout à saison.
Vous pouvez penser, ma chère Fille, combien j’aimais cordialement cette petite fille. Je l’avais engendrée à son Sauveur, car je l’avais baptisée de ma propre main, il y a environ quatorze ans : ce fut la première créature sur laquelle j’exerçai mon Ordre de sacerdoce. J’étais son père spirituel et me promettais bien d’en faire un jour quelque chose de bon ; et ce qui me la rendait fort chère (mais je dis la vérité), c’est qu’elle était vôtre. Mais néanmoins, ma chère Fille, au milieu de mon cœur de chair, qui a eu tant de ressentiments de cette mort, j’aperçois fort sensiblement une certaine suavité, tranquillité et certain doux repos de mon esprit en la Providence divine, qui répand en mon âme un grand contentement en ses déplaisirs. Or bien, voilà mes mouvements représentés comme je puis.
Mais vous, ma chère Fille, dites-moi, je vous prie : notre aiguille marine n’a-t-elle pas toujours été tendante à sa belle étoile, à son saint astre, à son Dieu ? Votre cœur qu’a-t-il fait ?… Il ne faut pas seulement agréer que Dieu nous frappe, mais il faut acquiescer que ce soit sur l’endroit qu’il lui plaira ; il faut laisser le choix à Dieu, car il lui appartient.
Seigneur Jésus, sans réserve, sans si, sans mais, sans exception, sans limitation, votre volonté soit faite sur père, sur mère, sur fille, en tout et partout. Ah ! je ne dis pas qu’il ne faille souhaiter et prier pour leur conservation ; mais de dire à Dieu : Laissez ceci et prenez cela, ma chère Fille, il ne le faut pas dire. Aussi ne ferons-nous, non pas ? Non, ma Fille, moyennant la grâce de sa divine Bonté.
Je vous vois, ce me semble, ma chère Fille, avec votre cœur vigoureux, qui aime et qui veut puissamment. Je lui en sais bon gré ; car ces cœurs à demi-morts, à quoi sont-ils bons ? Mais il faut que nous fassions un exercice particulier, toutes les semaines une fois, de vouloir et d’aimer la volonté de Dieu plus vigoureusement, je passe plus avant : plus tendrement, plus amoureusement que nulle chose du monde ; et cela, non seulement dans les occurrences supportables, mais aux plus insupportables…
Hélas, ma Fille, à la vérité dire, cette leçon est haute ; mais aussi, Dieu pour qui nous l’apprenons, est le Très-Haut…
Quand nous n’aurions que Dieu, ne serait-ce pas beaucoup ?…
Vous me connaissez : j’aime la simplicité et en la mort et en la vie. »
2 novembre 1607 (EA 13, 328-333)
Cette lettre nous révèle un François simplement humain, pleinement humain et un François simplement chrétien, pleinement chrétien. « Le plus humain de tous les saints », a écrit de lui un de ses biographes.
Et nous ? Et moi : Comment ai-je vécu la mort de membres de ma famille, d’amis proches, de frères prêtres, de paroissiens, en particulier enfants ou jeunes ?
Ma propre mort : Comment j’y pense ? Comment je la prépare ?
L’importance pastorale des deuils et obsèques dans la plupart de nos cultures.
Père François Corrignan – Prêtre de Saint François de Sales