Très bien, pourtant… tournées l’une vers l’autre, Marie et Élisabeth sont ensemble tournées vers Dieu : c’est même là tout le sens de l’exclamation d’Élisabeth « D’où m’est-il donné que la mère de mon Seigneur vienne à moi ? » ; et c’est aussi tout le sens du Magnificat.
D’ailleurs, à y bien réfléchir, Élisabeth n’avait sans doute pas grande nécessité des services matériels de Marie. Zaccharie, prêtre, officiait à son tour dans la Maison du Seigneur, ils résidaient proches du Temple (six kilomètres) : leur position sociale était bien établie, la présence d’une servante est vraisemblable ; par ailleurs voisins et amis, que l’on voit lors de la naissance de Jean-Baptiste, n’étaient probablement pas indifférents si Élisabeth avait eu besoin d’eux.
Alors, peut-être faut-il creuser davantage…
I) Solitude et contemplation ?
N’aurait-elle pas eu un particulier « droit à sa solitude » celle qui est toute investie de la Présence de Dieu ? Or Dieu lui fait comprendre d’aller vers Élisabeth…
Et pourquoi faudrait-il que l’amitié et le service fassent tort à la relation intime avec Dieu ? Ce n’est nullement le sentiment de saint François de Sales : « Plusieurs vous diront peut-être qu’il ne faut avoir aucune sorte de particulière affection et amitié, d’autant que cela occupe le cœur, distrait l’esprit, engendre les envies : mais ils se trompent en leurs conseils » (Introduction à la Vie Dévote III 19)
Et encore : « Si votre mutuelle et réciproque communication se fait de la charité, de la dévotion, de la perfection chrétienne, ô Dieu que votre amitié est précieuse ! Elle sera excellente parce qu’elle vient de Dieu, excellente parce qu’elle tend à Dieu, parce que son bien c’est Dieu, parce qu’elle durera éternellement en Dieu. » […] (Introduction à la Vie Dévote III, 19)
Rappelons-nous son éblouissement et sa gratitude lorsque Dieu mit sur sa route Jeanne de Chantal, qu’en cette rencontre il découvrit comment progresser dans l’amour de Dieu. Rappelons-nous que de belles pages du Traité de l’Amour de Dieu en proviennent. Il en témoigne lui-même dans la préface : « C’est une bonne partie de ce que je communique maintenant que je dois à cette bénite assemblée [la Visitation], parce que celle qui en est la Mère et y préside […] n’a pas eu peu de pouvoir pour animer mon âme en cette occasion. »
II) Faire le vide pour chercher Dieu ?
De plus, le Magnificat nous livre la contemplation de Marie. L’Église ne s’y trompe pas, qui nous le fait chanter solennellement chaque jour à Vêpres : c’est dire son importance.
Or, nous pouvons remarquer que Marie ne cherche pas à « faire le vide en elle » : elle rappelle, au contraire, tous ses souvenirs. C’est bien à travers le déroulement de sa propre vie et celui de son peuple que Marie découvre l’action du Seigneur, à quel point Dieu comble de son amour. L’Évangile nous la montre « gardant toutes ces choses en son cœur » et c’est précisément de ses souvenirs que naît le chant du Magnificat.
Marie nous conduit à remettre à Dieu tous nos souvenirs pour ne plus les voir que dans son regard, ne plus y voir que Lui : c’est par ce chemin qu’elle entre dans l’oubli d’elle-même pour ne plus se confier qu’en Dieu. C’est ainsi qu’elle est pour nous maîtresse de vie spirituelle.
Merci aux Sœurs de la Visitation de Paray-le-Monial pour cette profonde méditation.