On a dit qu’ils étaient trois ! Pourquoi pas ? On a dit qu’ils étaient rois ! Étonnant non ? On les a imaginés engoncés dans des brocarts d’or et d’argent ? Est-ce bien nécessaire ? On les a nommés Melchior, Balthazar et Gaspard ! Verriez-vous un inconvénient à ce que je leur donne d’autres noms ?
Tenez, celui-ci on va l’appeler Tête-en-l’air !
Déjà, quand il était petit, il se perdait dans ses rêves ou dans ses jeux quand sa maman criait « à table ! » À l’école, le maître devait à chaque instant réclamer son attention tant il manquait de concentration. Alors quand il est devenu grand, il a continué à observer les étoiles. Il s’est mis à vouloir suivre les comètes et les étoiles filantes. C’est pour ça qu’il est arrivé ici ce jour, poète ou mystique, idéaliste ou grand adolescent joueur.
Le second, on va lui donner le nom de Je-sais-tout !
Monsieur Je-sais-tout ne se laisse pas compter de sornette. Il a tout vérifié. Il parle avec assurance de tous les sujets. Malheur à celui qui le contredit ! Il veut toujours avoir le dernier mot. Il ne lui suffit pas de connaître le passé, il annonce l’avenir. Il lit dans les constellations comme dans un livre et rien ne peut le surprendre. D’après ses calculs, un roi des Juifs vient de naître et il est venu sur place pour le vérifier.
Et si Pense-qu’à-soi – c’est le nom du troisième,
les a accompagné, c’est tout simplement parce qu’il avait peur de rater une bonne affaire. Il n’a pas d’amis. Il n’aime que ceux qui lui servent ou dont il peut se servir. En vérité, il est indifférent à tout sauf à ses petits intérêts. Sans doute n’a-t-il jamais aimé vraiment car l’amour pour lui n’est que désir, pouvoir et possession mais le voilà pourtant, entraîné par les autres, devant l’enfant de la crèche.
Il est bien possible que Tête-en-l’air ait offert l’encens : il a un faible pour tout ce qui monte au ciel en fumée ! Je-sais-tout a sans doute offert la myrrhe : cette résine sert à embaumer les cadavres comme la science momifie la réalité vivante. Qui a bien pu offrir l’or ? Ce ne peut être que quelques pièces échappées par hasard de la poche de Pense-qu’à-soi.
Que s’est-il passé alors quand ils se présentèrent devant l’enfant ? Quel miracle ? Quelle conversion ? Tous les papas et toutes les mamans du monde savent ce qui se passe quand tout à coup on se retrouve avec la merveille d’un bébé dans les bras. Les rêves deviennent réalités et se réalisent dans les banalités, les urgences et les astreintes du quotidien. Les plus savants se sentent maladroits, ignorant que faire de ce petit être vivant qui regarde et qui juge. Les plus égoïstes sont décentrés vers cet autre dont ils sont vides.
Au-delà de ces trois inconnus, c’est tout l’humanité qui est mise sens dessus dessous par cette naissance. Depuis ce jour-là, le ciel de la mythologie s’est dépeuplé pour poser Dieu dans le quotidien du monde ! L’infiniment grand et l’infiniment petit des savants se sont vidés dans la simplicité d’un regard et d’une liberté ! La riche obésité des puissants, les valeurs de la bourse, les fantaisies du luxe, tout s’est effondré dans le tendre sourire de l’Enfant-Dieu.
On nous dit que nos trois mages sont repartis par un autre chemin. Désormais ils marchent sur la terre et non plus dans les étoiles. Les yeux des hommes, qu’ils brillent de joie ou d’angoisse, ont pris la place des étoiles. Ils savent que chaque pas n’est qu’un repos provisoire et qu’il faut rester disponible pour une Vérité inconnue. Ils savent que l’Autre les attend au terme de la route et qu’en tombant dans ses bras ils goûteront l’élixir qui les a enivrés dans la pauvreté de la crèche.
Désormais ils ne méritent plus le nom qui disait leur mesquinerie. Ils ont bien le droit de reprendre leurs noms merveilleux : Gaspard, Balthazar, Melchior. Tous les tête-en-l’air, les je-sais-tout, les pense- qu’à-soi qui pourraient se trouver dans notre assemblée vont-ils, eux aussi, retrouver leur merveilleux nom de baptême après avoir rencontré aujourd’hui l’enfant-Dieu ?
Je le souhaite ! je vous le souhaite ! je nous le souhaite !
Mgr Jacques Noyer, Dire Dieu autrement
Mgr Jacques Noyer a été Conseiller Spirituel Général de notre Association des Filles de saint François de Sales. Il est décédé le 2 juin 2020. Un article a été publié au moment de sa mort.